Danse de la victoire

Danse de la victoire

Où se situe le bout du monde, pour vous ?

Cet été, après quelques centaines de quarts à la barre, j'ai eu le sentiment d'y être. Partis de la baie de Somme au printemps, Théophile, Julien et moi nous déambulions sur la banquise, après y avoir amarré notre voilier Baladin. J’avais rarement éprouvé un tel sentiment d'euphorie et d'accomplissement.

Le 28 août 2021, pieds nus sous un soleil magnifique, nous sommes entrés dans la baie de Somme. Nous venions de naviguer plus de 2000 milles en trois semaines pour rentrer du Svalbard, un archipel de montagnes et de glace où nous avions mené une expédition de quatre mois.

La baie de Somme.

La baie de Somme.

Le Svalbard est situé à mi-chemin entre la Norvège et le pôle Nord. Chaque année, la banquise et les glaciers qui protègent ses côtes reculent un peu plus, faisant naître des territoires sous une forme nouvelle, inconnue et inexplorée. Notre projet était né de l'observation d’images satellite : si de nouvelles côtes, de nouvelles mers apparaissaient, cela signifiait l'opportunité de les explorer, de s'aventurer dans des eaux mal cartographiées, de se confronter à l’inattendu et à l'incertitude dans un environnement arctique dont l’imprévisibilité est déjà la première caractéristique.

L’autonomie pour voyager

Il était important, pour moi, d’accéder à cet environnement sauvage en nous déplaçant par nos propres moyens, de notre départ de la baie de Somme à notre retour dans la maison où nous avions passé l’Hiver. Parcourir, voir et ressentir chaque mille nautique, chaque fragment de la distance qui séparait notre chez-nous de ce qui symbolisait dans mon imaginaire le bout du monde, et aller vers le Nord aussi loin qu’il nous serait possible d’aller, une frontière définie non par les routes et les aéroports mais par la mer gelée contre l’étrave de notre bateau et l’impossibilité matérielle de poursuivre. Utiliser pour ce projet un voilier que nous avions adapté et préparé, des équipements que nous avons fabriqués, et compter sur nous mêmes, sur nos compétences et sur le matériel embarqué.

Le choix de la simplicité des moyens était dicté par des contraintes matérielles mais participait à cette recherche de l’autonomie. Notre voilier est différent des bateaux que l’on peut habituellement croiser dans les eaux arctiques : petit et léger, sans aides électriques comme un pilote automatique ou un guindeau, avec pour seule consommation énergétique l’alimentation d’une tablette et d’une radio VHF, largement étalée par les deux panneaux solaires installés avant le départ. Mais, préparé par nous et doté d’équipements que nous avions fabriqués, cela nous assurait une autonomie technique : avec les trois sacs d’outils et produits embarqués nous pouvions pallier la plupart des complications matérielles.

Bivouac dans une vallée svalbardienne. Sur ce terrain plat, nous ne risquons pas de nous laisser surprendre par un ours !

Bivouac dans une vallée svalbardienne. Sur ce terrain plat, nous ne risquons pas de nous laisser surprendre par un ours !

L’été arctique est humide, très humide.

L’été arctique est humide, très humide.

Derrière cette certaine idée de l’autonomie, il ne s’agissait pas d’un orgueil d’indépendance. Nous avons été beaucoup aidés, tant par les conseils de nos mentors que par le temps que nos familles nous ont consacré. Il ne s’agissait pas non plus du défi d’accomplir un parcours “sans assistance” : nous nous sommes ravitaillés, avons acheté des équipements en cours de route et avons fait halte dans les ports norvégiens.

C’était plutôt une manière de sublimer notre destination et peut-être de la mériter davantage, en consentant aux efforts que cela implique plutôt qu’en nous y téléportant : apprendre, étudier, préparer, barrer des milliers d’heures en ayant froid, vivre des mois à trois dans un espace minuscule.