Au matin du 23 février, Julien et Théophile m'avaient rejoint Porte de Vincennes, afin de faire route ensemble jusqu'au Crotoy. Ce devait être une journée d'espoir, motivante et gratifiante, qui marquerait le début du coeur de notre préparation et les travaux sur le bateau. Elle s'acheva pourtant sur une désillusion cruelle.

Dès notre arrivée, plein d'entrain, nous nous étions atteliés à la conception de la capote de rouf destinée à nous protéger du vent. Il s’agissait de définir sa forme générale, puis de la maquetter à l'échelle 1, sur le bateau.

Nous étions à la maison en fin d'après-midi pour planifier notre travail des jours à venir. Je souhaitais que nous réfléchissions à un plan B, voire un plan C, en cas de modifications des conditions sanitaires et administratives en Norvège, ou d'un autre écueil susceptible de contrevenir à nos plans initiaux. Le Groenland ? La Baltique ?

Brutalement, au hasard d'une recherche un site du ministère de la santé norvégien, la discussion se fait fit légère. La Norvège avait fermé ses frontières aux étrangers. La réflexion sur un plan B devenait réflexion sur un plan A...


Des travaux

*7 mars 2021

Nous allons devoir travailler dur cette semaine, pour conclure les quatre chantiers principaux : capote de rouf, chauffage, régulateur, isolation.*

La capote ne sera fixée au rouf que mi-avril, et le régulateur d'allures ne sera définitivement monté que début mai, en Norvège. Entre temps, nous nous s’intoxiquions à la résine polyester, cédions à quelques achats compulsifs et honteux sur Amazon Prime et nous plongions dans la psychologie de Mr John Fleming, inventeur du régulateur “Hebridean” et dessinateur des plans que nous tentons de vivre. Je le reconnais, j'ai tendance à être un petit peu optimiste dans mes estimations temporelles.

Le 8 mars, je note "un petit pincement au coeur à chaque trou qu'on fait dans le bateau et lorsqu'on découpe les aménagements intérieurs". A l'occasion d'un week-end de navigation à Dieppe, je m'interroge sur ce qui m'attire en mer.

28 février 2021

*En naviguant ces derniers jours devant Dieppe, je n'éprouvais aucune envie de manoeuvrer pour manoeuvrer, de bien faire marcher le bateau, de peaufiner les réglages. Au contraire, je sous-toilais volontairement. En fait, j'éprouvais le sentiment d'une vanité à naviguer sans destination. Et je réalisais, ou plutôt je conceptualisais ce qu'au fond je ressentais et savais déjà plus ou moins. Je n'aime pas forcément la voile, naviguer, être en mer. Je n'éprouve pas grand chose à faire naviguer vite un bateau si ce n'est pas pour atteindre plus vite une destination. J'aime voir défiler la mer sous la coque de mon bateau parce-qu'elle est une distance que je parcours, pas tellement pour la beauté de l'eau et des vagues. J'éprouve une excitation et un vrai plaisir à voir s'éteindre lentement les lumières de la ville dont je m'éloigne lorsque j'appareille au coucher du Soleil, mais ce n'est pas parce-que je quitte la terre ferme, c'est pour la promesse du voyage que cette scène illustre.

J'aime les bateaux parce-qu'ils sont la liberté, qu'ils crient toutes les promesses que je veux entendre, les promesses d'aventure. Sur un bateau, on part quand on veut, où l'on veut et aussi longtemps qu'on veut. J'aime la mer car personne ne nous y aide et que personne ne nous y arrête. Parce-qu'en mer, tous les caps peuvent être pris.

J'aime voyager en voilier, naviguer sur la mer et partir quand j'en ai envie, où j'en ai envie. Voir tous les horizons et choisir le plus beau. Et c'est peut-être tout. Tout le reste, c'est de la logistique, de la technique, de la mécanique.*

Ponçage à la main de pièces du régulateur d’allures

Ponçage à la main de pièces du régulateur d’allures

Mise en forme des platines devant servir à fixer la capote sur le rouf.

Mise en forme des platines devant servir à fixer la capote sur le rouf.

Application d’une double couche de peinture antifooling afin de protéger la coque .

Application d’une double couche de peinture antifooling afin de protéger la coque .

Je pars ensuite trois semaines à Nice. J'y étudie la mécanique et l'électricité, pendant que Julien et Théophile travaillent sur le bateau et s'entraînent dans les Alpes.

Le plan A est redevenu plan B.

A force de relire les décrets norvégiens, nous avons remarqué quelques exemptions. Les marins professionnels et les scientifiques engagés sur des missions de recherche marine en font partie... Hourra ! Nous avons le choix entre l'uniforme de la marine marchande et la gloire scientifique, le choix est vite fait. Le "professeur" Poisson noue un partenariat avec l'association MED, et rédige avec Herr Doctor Schouller un projet de recherche scientifique. Nous compterons les déchets plastique sur les plages du Svalbard pour MED, en appliquant le protocole OSPAR.

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Pendant que j’apprends à démonter un moteur et à rechercher des pannes électriques, Théophile et Julien révisent leurs techniques d’Alpinisme.

Pendant que j’apprends à démonter un moteur et à rechercher des pannes électriques, Théophile et Julien révisent leurs techniques d’Alpinisme.

A Nice, il fait beau, il fait chaud, la mer brille. Je me demande pourquoi les hommes, à un moment de leur histoire, ont décidé d'aller vivre plus au Nord, en Picardie, là où la brume ne se lève qu'à midi lorsque la pluie la remplace. Les gens que je rencontre aiment la mer et les bateaux. La Méditerranée semble bien douce.

Pourquoi ne partons-nous pas vers le Sud, au fait ?

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Je rentre en Picardie le 4 avril, et je laisse de côté mon carnet. Les journées de travail sont longues et intenses.

Le soir, je me couche avec la seule envie de me remettre au travail le plus vite possible car chaque heure de travail nous rapproche du départ.

Mise à l’eau - réussite à la deuxième tentative.

Mise à l’eau - réussite à la deuxième tentative.

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Derrière un hangar désaffecté, nous trouvons les bouées que Sacha et moi avions désespérément cherchées quelques mois plus tôt, en entrant dans la baie.

Derrière un hangar désaffecté, nous trouvons les bouées que Sacha et moi avions désespérément cherchées quelques mois plus tôt, en entrant dans la baie.