Le 6 janvier 2021, je publiai une annonce sur CampToCamp, forum dédié aux activités de montagne, ainsi que son équivalent sur la « bourse aux équipiers », un portail mettant les marins en relation pour naviguer ensemble.

Pour un projet d’expédition au printemps, je recherche un ou deux partenaires. (...) J’aimerais intégrer à l’équipe quelqu’un qui a une bonne connaissance de la montagne ou des expéditions en milieu froid pour être leader sur les explorations terrestres (à pied ou à skis). (...) La vie à bord est rustique surtout lorsqu’il fait froid !

L’annonce serait-elle racoleuse ? En tout cas, elle a du succès : près d’une quarantaine de personnes me contactent.

Poster une annonce sur internet, la diffuser à tous les vents et attendre les messages d’inconnus sans référence, sans tiers de confiance, est-ce sérieux ? Pour moi, c’était finalement assez naturel. Je n’avais personne de qualifié, motivé et disponible dans mon entourage. En m’adressant à une large communauté, je savais que je recevrais beaucoup de messages saugrenus. Mais sur la quantité, j’augmentais mes chances de rencontrer les bons partenaires. J’avais utilisé la bourse aux équipiers pour apprendre à naviguer, puis l’année dernière pour un premier périple maritime. J’y avais rencontré des gens dynamiques et très motivés, comme Bastien, Martin ou Henri.


L’appel du Nord

En août 2020, Henri naviguait avec Léandre, un ami d’école, et moi en Islande. Nous avions quitté la France en juin, deux jours après que je l’aie rencontré en compagnie de Martin à La Trinité sur mer, en baie de Quiberon (Bretagne). La première navigation avait été engagée. Sitôt réparé le vit-de-mulet que j’avais cassé quelques jours plus tôt, nous avions largué les amarres contre le vent à l’heure de l’apéro pour espérer accrocher, le lendemain, la queue d’une dépression censée nous propulser au portant vers le Sud de l’Irlande. A la place, nous avions rencontré des vents contraires bien établis à 30 noeuds et avions péniblement progressé deux jours durant jusqu’à faire halte aux Scilly où nous étions arrivés au milieu de la nuit, sans électricité et sans moteur. Nous avions ensuite poursuivi notre périple sous la pluie ouest-irlandaise, puis aux Hébrides et aux îles Féroé, où les murs de Torshavn portent encore les traces de nos fusées de détresse. Nous avions voulu participer aux célébrations de la fête nationale de l’archipel, mais nous avions constaté les féringiens ne partageaient pas tout à fait nos codes festifs. Enfin, suivant l’itinéraire des explorateurs vikings, nous avions traversé un dernier tronçon d’océan pour atteindre l’Islande dont nous avions fait le tour.

Au Nord-Ouest de l’île, un violent coup de vent nous avait surpris. Au près, Baladin l’avait étalé sans faiblir jusqu’à ce que nous parvenions à nous glisser dans un fjord, mais une fois protégés, l’optimisme avait été fatal à notre grand voile. Les ris largués, nous nous étions fait surprendre par un couloir de vent dévalant des immenses pentes et en quelques secondes, la voile était en deux morceaux. Sous les montagnes des Westfjords, sanctuaire des renards polaires, nous nous étions arrêtés dans le village d’Isafjordur pour réparer et nous reposer après avoir encaissé un fort coup de vent.

Sous le soleil et le vent frais, lorsque je relevais le nez de la couture, je sentait, au loin le Groenland. L’Arctique, l’aventure, un espace plus sauvage, plus hostile et plus excitant encore que l’Islande. Et je regardais vers le Nord, plus au Nord, où l’étrave des voiliers pointe si rarement une fois passé le cercle polaire.

Nous avions envisagé, alors, de naviguer jusqu’au Groenland et d’y toucher les icebergs. Mais il devint rapidement clair que cela aurait été une folie. Henri, plus raisonnable que moi, m’avait averti qu’il trouvait cela trop dangereux et ne souhaitait pas m’accompagner. Baladin et nous n’étions ni prêts, ni équipés ; nous manquions d’autonomie, nous manquions d’informations, les glaces bloquaient la côte occidentale du Groenland et nous étions en août… L’été arctique était déjà fini et traverser vers le Groenland ne nous aurait pas laissé assez de temps pour rentrer en Europe avant l’hiver.

Deux mois plus tard, après une traversée retour mouvementée à travers l’Atlantique Nord, j’étais en France. Et en décembre, j’avais déjà envie de repartir. J’imprimais les instructions nautiques américaines pour toute les côtes de l’Arctique et me plongeais dans leur lecture. Quels sont les différents types de glace, comment naviguer au milieu des growlers, quels sont les courants dominants, quelle faune et quelle flore y rencontre-t-on ? J’appelais Thorleif Thorleifsson, navigateur norvégien habitué à naviguer dans les eaux froides. Pour apprendre à connaître l’Arctique, me dit-il, va au Svalbard. Depuis la France, ce sont les terres polaires les plus proches, et tu y navigueras dans les glaces.