8 août 2021

« C’est pour la lumière que nous allons en Norvège », nous avaient dit un couple de voyageurs à la porte de leur van.

Les lumières du Nord ? Mais l'été, il n'y a pas d'aurores boréales. L'été, le soleil reste obstinément haut dans le ciel, et lorsqu'on ne le voit pas, c'est parce que les nuages le masquent ou que la pluie horizontale nous force à fermer les yeux.

J’ai compris leur phrase au début du mois d'août, lorsqu'après deux mois d'exploration autour du Svalbard, nous avons rejoint le monde des hommes en atterrissant sur les côtes norvégiennes. Devant Senja, la gueule ouverte de chacun des larges fjords crachait un vigoureux vent thermique, qui disparaissait dès que la côte se reformait. Un arc-en-ciel était venu se poser délicatement sur l'épaule d'une montagne. Peu à peu, le rose de ce dernier irradiait dans le ciel, afin de se diffuser aux masses rocheuses que dévalaient les rafales. La mer elle-même devint rose, puis la grand-voile de Baladin, et nos visages, enfin, cédèrent à la tendance et acceptèrent ces nouvelles nuances.

Dimanche 8 août 2021, 21h10. Senja, un arc-en-ciel, et la grand-voile de Baladin.

Dimanche 8 août 2021, 21h10. Senja, un arc-en-ciel, et la grand-voile de Baladin.

Qu’y a-t-il de plus banal qu’un coucher de soleil ? Sans doute les lumières norvégiennes sont-elles extraordinaires, mais pour nous, c’était surtout le premier crépuscule auquel nous assistions après des mois sous le jour polaire.

Autour du Svalbard, derrière la brume translucide, nous ne parvenions pas toujours à trouver le soleil, mais pas une fois nous n’avions rencontré d’obscurité.

Ce soir là, nous avons été surpris de voir le soleil se coucher.

Dimanche 8 août 2021, 21h14. Nicolas et Théophile dans le cockpit.

Dimanche 8 août 2021, 21h14. Nicolas et Théophile dans le cockpit.

Ce coucher de soleil, c'était comme un signe d’adieu du monde des rêves et des quarts, et une invitation à retrouver le monde tempéré, celui où la lumière rythme les jours et les nuits, où l’on se lève le matin et se couche le soir, celui où les journées ne s’étendent pas avec notre enthousiasme, et ne se réduisent pas avec notre fatigue.

Le monde que nous étions malgré tout heureux de retrouver, car c'est celui auquel nous appartenons et auquel nous reviendrons toujours. Le monde où l'on se sent un peu moins vivants, où les sentiments sont un peu moins forts, où l'esprit doit s'évader pour trouver à s'exprimer, mais où l'on se sent bien. Le monde où lorsqu'on se réveille, on trouve une tasse de café bien chaud que nous dégustons en pyjama au lieu d'enfiler quatre pulls et un ciré pour aller relever l'homme de barre qui grelotte sous la pluie, où l'on peut aller se promener sans s'équiper de matériel de survie, d'une carabine, sans gonfler l'annexe et pagayer, sans craindre que notre bateau ait disparu à notre retour.

Nous rentrions à la maison.

Et en écrivant ces lignes, j'ai furieusement envie de retourner dans le monde où l'on rêve quatre fois par jour.