Devant l'embouchure de la Tamise, les bancs de sables qui chagrinent les marins depuis toujours sont désormais complétés par des rails de cargos, des plate-formes pétrolières. Cela oblige à des zigzags incessants, alors que le vent contraire nous oblige déjà à louvoyer et que le courant nous contre la moitié du temps. Pendant la nuit, le vent finit par tomber complètement.

*Mardi 27 avril 2021, 9h30

Vent ENE 1, pétole. Route négative (nous reculons) car courant contraire jusqu'à midi. Impossible de mouiller car trop de trafic de cargos. Nous attendons le vent et la renverse.*

Le même jour, je ressors mon carnet pour la première fois depuis le 2 avril.

Mardi 27 avril 2021

Nous sommes en mer, Théophile à la barre et moi calé à la table à carte. Le temps est pétoleux mais plutôt beau... J'ai totalement négligé ce carnet ces dernières semaines. La préparation du départ était très intense, et la fatigue accumulée s'est brutalement révélée pour nous trois hier matin, après une nuit sans sommeil. La dernière nuit, au mouillage, mal abrités mais bien accrochés par les 60m de chaîne, nous a vraiment permis de bien récupérer. De mon côté, l'émotion était très vive hier. Ce n'était pas la première fois que je partais pour six mois, mais le cérémonial du départ et ma famille mobilisée autour de moi pour m'aider à accomplir ce que je voulais m'ont beaucoup touché [...]. J'ai hâte, lorsque l'occasion se présentera, de les aider à accomplir aussi ce qui leur tient à coeur.

27 avril 2021. Les vagues ont détruit les feux de navigation du balcon avant. Théophile grimpe au mat pour tenter de modifier le feu de hune afin que nous restions visibles la nuit.

27 avril 2021. Les vagues ont détruit les feux de navigation du balcon avant. Théophile grimpe au mat pour tenter de modifier le feu de hune afin que nous restions visibles la nuit.

30 avril 2021

Le mois de mai arrive. Effectivement, le soleil brille et le ciel est bleu mais l'air est bien froid ! Y a-t-il une technique particulière pour écrire lisiblement quand on ne parvient plus à bouger les doigts ? [...] Le vent reste obstinément Nord-Nord-Est, pile face à notre direction. Nous louvoyons donc depuis lundi (même, en fait, depuis notre départ de Saint-Valéry-sur-Somme samedi).

Au milieu de la mer du Nord, j'ai soudain un accès de mélancolie. Depuis des mois, tout mon temps, toute mon activité et toutes mes pensées étaient concentrées sur la préparation de l'expédition. Désormais, nous sommes entrés dans un espace temporel différent, celui du voyage en mer. Je prends enfin le temps de réfléchir, et tous les sujets laissés de côté, tous les sentiments ignorés surgissent brutalement. C'est désagréable mais nécessaire.

*1er mai 2021

Depuis quelques jours, des oiseaux s'approchent du bateau : fous de bassan, sternes de diverses robes et autres inconnus. Comme l'année dernière, leur nombre et la fréquence de leurs apparitions augmentent avec la latitude. Bientôt, ils nous suivront continuellement et le mât de Baladin servira de centre de rotation à l'infini de leurs ellipses.*

Le journal de bord mentionne les difficultés matérielles et la météo : le vent reste contre nous. Qu’importe !