Le 24 avril 2021, à 9h30, les amarres sont larguées.

La marée n’attend pas ! Nous sommes arrivés au port à 7h après avoir fini de boucler nos sacs, et quelques minutes avant le départ, nous finissons à peine de charger le bateau tandis qu’on nous apporte au pas de course la pince monseigneur qui nous manquait. Nous répondons sans trop y penser au journaliste du Courrier Picard. Lorsque nous verrons l’article quelques semaines plus tard, nous regretterons de ne pas l’avoir mieux briefé.

Les sacs ne sont pas rangés, un panneau de coffre n’est pas fixé, les cartes n’ont pas pas été téléchargées ? Nous aurons au moins la garantie de ne pas nous ennuyer en cours de route. Le régulateur n’est pas monté, rien n’a été testé, la nouvelle grand-voile hissée une seule fois ? Attendons d’être prêts, et nous ne partirons jamais. Et si le vent vient du Nord, nous pouvons nous dire que le Soleil brille et qu’en tirant des bords contre le gros clapot du Pas de Calais, nous nous amarinerons plus rapidement.

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Avec 1,60m. de tirant d’eau, sortir de la baie de Somme par ce coefficient de marée assez faible constitue une première épreuve. Les bouées nous laissent perplexes, on dirait que les affaires maritimes se sont un peu laissées aller cet hiver… Heureusement, un bateau à moteur nous accompagne sur quelques milles et nous ouvre la voie. On sent, à un moment, le sable racler la quille de Baladin.

Et nous sommes enfin en mer. Dans une petite mer, traversée de dizaines de cargos, mais en mer tout de même, et nous allons droit vers le Nord.

Après ces mois consacrés exclusivement à la préparation du départ, la tension accumulée retombe d’un seul coup.

Nous allons vivre ! En attendant, les trois heures de sommeil cumulées sur les trois dernières nuit sont manifestement insuffisantes face à la mer courte dans laquelle Baladin marsouine. La première nuit, et les premiers quarts, arrivent rapidement tandis que notre mal de mer s’affirme. Les difficultés matérielles s’accumulent, alors nous décidons de profiter de la proximité de la côté anglaise pour mouiller et réparer.

La première page du journal de bord n'est pas très glorieuse.

*25 avril 2021

Minuit. Cap NO pour traverser la Manche, entre Boulogne et Calais. Vent Nord-Nord-Est, Force 5. Mer peu agitée. 4h. Talonnage sur les bancs de la baie de Sandwich. Induit en erreur par le mode Sonarcharts des cartes Navionics nouvellement installées. Demi-tour pour contourner les bancs. 6h30. Arrivée sur la zone de mouillage. Mouillage dans la baie de Sandwich. 4,5m de fond, vent NE F 5-6.*

Julien est à la barre, Théophile sort de la cabine.

Julien est à la barre, Théophile sort de la cabine.

Ce n’est que du sable ! La baie de Ramsgate semblait fournir un bon abri et nous avons tenté le diable en traversant sur les bancs mouvants. Théophile, de quart, a eu le bon réflexe de pousser vigoureusement la barre : la petite déferlante qui arrive sur notre flanc est impressionnante, mais en soulevant le bateau elle nous permet de faire demi-tour et de contourner les plus hauts fonds. Finalement, après 24 heures de navigation, nous jetons l’ancre. La houle rentre dans la baie et le mouillage est tout sauf confortable, mais rien ne peut m’empêcher de dormir. Avant d’aller nous coucher, nous entamons le morbier. Il est délicieux. Une tradition inconnue voudrait-elle qu’une fève y soit glissée ? Julien grimace, et recrache un petit morceau de plastique.

« Qu’est-ce que c’est que ça… mais.. ? On dirait une dent ! Les gars, il y a une dent dans mon Morbier ! C’est dégoutant ! ». Sur le visage de Julien, l’indignation cède rapidement la place au doute. Le fromager du Crotoy ne nous a pas fait une blague, c’est sa propre dent qu’il vient de recracher.

Le risque d’infection est réel, et une bonne semaine de mer nous attend pour atteindre la Norvège. La ville de Ramsgate est toute proche, mais l’entrée sur le territoire britannique nous est interdite. En attendant, nous ressortons les outils, et nous mettons au travail. Nous réparons un tiroir, fixons le panneau de coffre de cockpit, étanchéifions la cheminée du poêle et fabriquons un « capuchon » pour la cheminée. Nous installons également les toiles anti-roulis, impératives pour dormir en mer, étanchéifions le panneau de pont avant avec du scotch bitumineux et installons les écoutes de chariot de grand-voile.

Contacté par radio, le port de Ramsgate accepte de nous laisser entrer sur motif sanitaire. Mais nous ne pouvons ni descendre à terre, ni passer la nuit : sinon, nous serons placés en quarantaine durant dix jours. L’employé du port se rend pour nous à la pharmacie et achète un kit de réparation dentaire. Équipé d’un miroir de poche, Julien recolle sa couronne... et nous repartons.

En sortant du port, nous croisons un voilier qui rentre. Nous l’avions vu sortir en arrivant. « Too rough ! », nous crie-t-il.

Le vent est toujours mal orienté, mais il est bien établi et le soleil brille. Nous reprenons un cap au Nord.

<aside> ➡️ Suite du journal : Semaine 2. Tirer des bords en mer du Nord.

</aside>


Expés précédentes :

Liberté, autonomie et légèreté en milieu arctique. Expédition amphibie sur la côte Est du Groenland.

Freedom, autonomy and lightness in the Arctic. Amphibious expedition on the East coast of Greenland.

De la baie des phoques à la baie des ours

Naviguer en Islande

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